La Chronique de Nabonide

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Rares sont les livres d’histoire qui n’indiquent pas que la chute de l’antique Babylone fut le résultat de sa prise par une armée coalisée de Mèdes et de Perses en l’an 539 avant notre ère. Cette affirmation repose en grande partie sur une tablette en écriture cunéiforme, appelée Chronique de Nabonide, qui fut apparemment découverte non loin de Bagdad, peut-être parmi les ruines de Babylone, peu avant son acquisition par le British Museum de London en 1879. Nabonide, le dernier monarque babylonien, n’en est pas l’auteur, mais son nom y est associé parce que la tablette énumère, sous forme d’annales, une série d’évènements survenus durant son règne. Le plus mémorable d’entre-eux demeure la prise — pour le moins insolite — de Babylone par des armées qui investirent l’imposante cité « sans se battre »! Loin d’être un simple détail, ce fait soutient le caractère prophétique de plusieurs déclarations bibliques contenues notamment dans le livre d’Ésaïe.

La Chronique de Nabonide (BM 35382) est une petite tablette d’argile, mesurant 146 mm de large et 140 mm de long, qui comporte des inscriptions réparties sur deux colonnes sur chacune de ses deux faces, mais une grande partie ayant été endommagé, seules « un peu plus de 75 des 300 à 400 lignes originales » 1 ont été préservées. Une grande partie de la première colonne et la quasi-totalité de la quatrième manquent, ainsi que le bas de la seconde et le haut de la troisième. Or, c’est précisément à ce dernier endroit que commence le récit de la prise de Babylone qui, pour cette raison, n’est pas explicitement daté 2. Reconnaissons que c’est un peu dommage pour un document censé offrir aux assyriologues une base sûre, une date absolue, celle du 16 Tešrit 539 avant notre ère — équivalant au 5 octobre de la même année selon notre calendrier grégorien — pour établir la chronologie de nombreuses civilisations de l’Antiquité. Que nous apprend cette fameuse tablette sur la chute de Babylone ? Voici l’ordre des évènements tel qu’il est relaté aux lignes 14 à 18 de la troisième colonne :

« Au mois de Tešrit, (…) le quatorze, Sippar fut prise sans lutte. Nabonide s’enfuit. Le seize, le gouverneur Ugbaru du Gutium et l’armée de Cyrus firent leur entrée dans Babylone sans se battre. Plus tard, après son retour, Nabonide fut emmené à Babylone. Jusqu’à la fin du mois, les porteurs de boucliers du Gutium encerclèrent les portes de l’Esagila, mais il n’y eut aucune interruption (des rites) d’aucune sorte dans l’Esagila ou dans tout autre temple et aucune [célébration] ne fut annulée. Au mois d’Arahsamnou, le troisième jour, Cyrus entra à Babylone »

Traduction de Jean-Jacques GLASSNER 3

Comme nous le disions en introduction, la Chronique de Nabonide indique clairement que Cyrus II et son armée « firent leur entrée dans Babylone sans se battre.» Toutefois, contrairement aux habitants de Sippar deux jours plus tôt, les Babyloniens ne se sont jamais rendus à l’ennemi. Hérodote rapporte en effet que « les Babyloniens (…) avaient fait un amas de provisions pour un grand nombre d’années. Aussi le siège ne les inquiétait-il en aucune manière » 4. Comment donc leurs assaillants parvinrent-ils à prendre leur ville « sans se battre »? L’historien grec poursuit : « [Cyrus] détourna (…), par le canal de communication, le fleuve dans le lac, qui était un grand marais. Les eaux s’y écoulèrent, et l’ancien lit de l’Euphrate devint guéable. Cela fait, les Perses, qui avaient été placés exprès sur les bords du fleuve, entrèrent dans Babylone par le lit de la rivière, dont les eaux s’étaient tellement retirées, qu’ils n’en avaient guère que jusqu’au milieu des cuisses » 5. Ce premier élément d’explication nous renvoie au texte biblique d’Ésaïe 44:27 qui annonçait prophétiquement la stratégie que Cyrus emploierait : « Je dis à l’eau profonde : Dessèche-toi ; je tarirai tes fleuves » (NBS). Pour autant, si l’Euphrate jouait un rôle essentiel dans le système de défense de Babylone, neutraliser le fleuve ne suffisait pas à garantir la prise de la ville. Celle-ci disposait aussi de hautes murailles, flanquées de nombreuses tours, elles-même verrouillées par de lourdes portes en cuivre ! Par quel moyen serait-il possible de les franchir « sans se battre »?

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La prise de Babylone, selon les lignes 14 à 18 de la Chronique de Nabonide.

La réponse se trouve en Esaïe 45:1, qui fait immédiatement suite au précédent passage. Nous lisons : « Voici ce qu’a dit Jéhovah à son oint, à Cyrus, (…) pour ouvrir devant lui les portes à deux battants, de sorte que les portes ne seront pas fermées » (TMN). Reconnaissons qu’il est plus facile de passer par une porte ouverte que par une porte fermée, surtout si la porte est l’une des plus imposantes de l’empire ! Relatant la prise de Babylone dans sa biographie de Cyrus II, Xénophon soutient la déclaration d’Ésaïe en mettant les propos suivants dans la bouche de Gobryas, « le gouverneur Ugbaru » de la Chronique de Nabonide : « Il n’y aurait rien d’étonnant que les portes n’en fussent pas fermées, car la ville entière semble être en liesse cette nuit » 6. Sans le savoir, Xénophon cautionne pareillement l’historicité du livre biblique de Daniel qui, au chapitre 5, relate le banquet que le régent Belshatsar — en l’absence de son père Nabonide, ‘en fuite‘ — donnait le soir de la prise de Babylone. S’il était facile à Hérodote et Xénophon de recueillir leurs informations auprès d’autorités perses, il n’en allait pas de même d’Ésaïe qui indiqua avec exactitude de quelle manière Babylone serait prise… deux siècles avant son accomplissement !

Niant l’inspiration divine du texte biblique, de nombreux critiques conclurent rapidement que le livre d’Ésaïe était postérieur aux évènements qu’il décrit, voire qu’il était le fruit de plusieurs auteurs ayant vécus à des époques différentes. Toutefois, ces arguments ne pouvaient tenir face à une autre prophétie d’Ésaïe, elle aussi relative à la chute de Babylone. Ésaïe 13:19-20 déclarait en effet : « Pour Babylone, la plus belle ville du royaume, le magnifique bijou des Babyloniens, ce sera la même catastrophe que pour Sodome et Gomorrhe, que Dieu a détruites. Personne n’y habitera plus jamais, elle restera vide pour toujours. Même les nomades n’y camperont plus, même les bergers n’y conduiront plus leurs troupeaux » (PDV). Si l’abandon du site de Babylone est une réalité depuis bien des siècles, ce n’était pas encore le cas au temps de Jésus. Or, à cette époque, de nombreux rouleaux contenants l’ensemble des écrits d’Ésaïe circulaient au sein de la communauté juive. La prophétie susmentionnée, conjointement à celle relative à la chute de Babylone, ne pouvait donc pas avoir été produite après sa réalisation. Un millénaire les sépare, ce qui dépasse les capacités humaines de prédiction. Seule une source suprahumaine — en l’occurrence Jéhovah Dieu — pouvait indiquer, aussi longtemps à l’avance, le moindre détail, ce dont la Chronique de Nabonide rend manifestement témoignage.

Références

1Adolf Leo Oppenheim, « The Babylonian Evidence of Achaemenian Rule in Mesopotamia », The Cambridge History of Iran, Vol. 2, 1985, p. 534.
2
Albert Kirk Grayson, « Assyrian and Babylonian Chronicles », 1975, p. 109.
3
Jean-Jacques Glassner, « Mesopotamian Chronicles », 2004, pp. 237, 239.
4
Hérodote, « Historia », I, 190.
5
Ibid., I, 191.
6
Xénophon, « Cyropaedia », VII, [5], 25.

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