La stèle de Mésha

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C’est le 19 août 1868 que Frederick Augustus Klein, un prêtre anglican originaire de Prusse, découvrit intacte parmi les ruines de l’ancienne Dibôn (aujourd’hui Dhibân en Jordanie), située au nord de la vallée de l’Arnôn, une grande stèle en basalte noir qui contenait des inscriptions en alphabet linéaire phénicien. L’annonce de cette découverte suscita une véritable effervescence parmi les archéologues, autant que la colère des bédouins locaux qui, dans un geste de défiance à l’égard de l’autorité ottomane, brisèrent la stèle en novembre 1869. Son inscription aurait pu être perdue pour toujours !

Cependant, Charles Simon Clermont-Ganneau, alors fonctionnaire au Consulat français à Jérusalem, avait réussi à en obtenir un estampage le mois précédent. Quand deux des plus grands fragments de la stèle furent retrouvés à la mi-janvier 1870, il en fit l’acquisition, suivie de celle de nombreux autres fragments plus petits qu’il reversa en 1873 au Musée du Louvre à Paris, lequel continua à récolter des morceaux… jusqu’en 1891 ! Un long et minutieux travail de reconstitution fut alors entrepris « au moyen des fragments originaux et des restaurations en plâtre qui furent réalisées grâce à l’estampage de toute la stèle » 1.

Quel témoignage nous offre aujourd’hui ce bloc de pierre si patiemment restauré ? Tout d’abord, il confirme indirectement l’exactitude de plusieurs passages des Saintes Écritures. Ainsi, l’inscription qui est gravée sur la stèle constitue un des rares documents que l’on possède en langue moabite, considérée comme un dialecte proche de l’hébreu biblique, ce que soutient Genèse 19:36-37 qui fait remonter l’origine des Moabites aux jours de Lot, le neveu d’Abraham l’Hébreu. De plus, la consécration de la stèle au dieu Kemosh atteste la prépondérance de son culte chez les Moabites, appelés « peuple de Kemosh » en Nombres 21:29. De même, elle confirme l’historicité du roi Mésha et de sa révolte contre les successeurs du roi Omri d’Israël, révolte qui est rapportée en 2 Rois 3:4-27. Dans l’exposé de sa prétendue victoire sur les armées ennemies, le roi moabite déclare avoir repris aux Israélites puis fortifié Ataroth, Jahaz et Nébo. Au sujet de la première cité, Mésha dit ceci aux lignes 10 et 11 de l’inscription: « Les gens de Gad avaient depuis toujours habité le pays d’Atarot et le roi d’Israël s’y était construit Atarot. Je combattis contre la cité et je la pris. Et je tuai tout le peuple de la cité pour rassasier Kemosh et Moab » 2. Voilà qui établit un lien direct avec le texte de Nombres 32:34-37 qui rapporte : « Alors les fils de Gad bâtirent Dibôn, Ataroth, Aroèr (…) des villes fortifiées; (…) Et les fils de Ruben bâtirent (…) Kiriataïm, Nébo, Baal-Méôn.» La mention de toutes ces villes sur la stèle de Mésha apporte un crédit supplémentaire à la Bible, et en particulier aux écrits de Moïse, rédacteur du livre des Nombres.

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Lignes 14 à 18 de la stèle: Israel (orange) — Jehovah (or) — Jahaz (vert).

Toutefois plus remarquable encore est la mention par Mésha du nom personnel du Dieu d’Israël, sous la forme du Tétragramme YHWH, au début de la 18ème ligne de son récit (image ci-dessus). Dans ce passage où il parle de la reconquête de Nébo, le roi moabite se vante en ces termes: « Je pris de là les [vases] de Yahvé et je les traînai devant Kémosh » 3. Cette déclaration est la plus ancienne référence extra-biblique au nom divin découverte à ce jour. Mais c’est aussi la preuve que le nom personnel de Dieu, s’il n’était pas inconnu d’un étranger — qui plus est d’un ennemi de longue date —, était de toute évidence librement employé par les Israélites eux-mêmes, comme le confirmait déjà James King, dans l’ouvrage qu’il publia sur la stèle, dix ans après sa découverte :

« Il est bien connu que le mot sacré Jéhovah, le Tétragramme des Grecs, était tenu si sacré par les Juifs des temps postérieurs, qu’il n’était jamais prononcé sauf par le Grand Prêtre, et seulement une fois par an, le jour de l’expiation quand il entrait dans le lieu très saint; (…) Quand et comment cette horreur pieuse de mentionner le nom de Jéhovah a été introduite a toujours été un sujet de débat; (…) Il est évident d’après la [stèle] de Moab, que même aux jours de Mésha l’auguste nom du vrai Dieu était si communément prononcé par les Hébreux qu’il était familier à leurs voisins païens, et communément considéré par eux comme le nom caractéristique du Dieu d’Israël »

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Ainsi, en consacrant une stèle à son dieu-guerrier Kemosh, Mésha a témoigné par la même occasion une vérité qui nous est aujourd’hui précieuse : l’interdiction de mentionner le nom divin, que d’aucuns reliaient au troisième commandement que Moïse consigna en Exode 20:7, était totalement inconnue vers 900 avant notre ère, date de l’érection de la stèle. Que devons-nous dès lors en conclure ? Que cette pratique, introduite tardivement dans le judaïsme, n’a jamais eu le moindre fondement scriptural. Que, de surcroît, elle ne justifie en aucune manière le retrait souvent observé dans la Parole de Dieu du nom personnel de Son auteur — Yahvé ou Jéhovah ! Enfin, que rien ne nous retient en vérité d’en faire un usage respectueux dans nos prières !

Références

1Henri Michaud, « Sur la pierre et l’argile », 1958, p. 35.
2,3
Ibid., pp. 37-38.
3
James King, « Moab’s Patriarchal Stone : being an account of the Moabite stone, its story and teaching », 1878, pp. 101-102.

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